De Marie et de Kali

Le présent article a pour but, à la fois modeste et prétentieux, d’analyser deux mythes et de les croiser. Ces deux mythes sont les figures féminines de la Vierge Marie, dans le christianisme (catholicisme et orthodoxie) et Kali, déesse hindoue.

Je tâcherai dans un premier temps de présenter à grands traits les figures qui nous intéressent, leur place dans leurs mythologies respectives, leurs familles et surtout, leur rôle.

Pour ce qui est de la Vierge Marie, tout d’abord, figure la plus familière de nos lecteurs, elle est la mère de Jésus-Christ, choisie par Dieu (par l’intermédiaire de l’ange Gabriel) pour enfanter celui qui sauvera l’Humanité par sa Passion, sa mort, et sa Résurrection. Figure maternelle et royale par excellence (Louis XIII lui consacra le royaume de France le 10 février 1638), elle est une mère aimante et protectrice que l’on invoque volontiers tant pour se protéger que comme médiatrice de toutes les grâces : « Priez pour nous, pauvres pécheurs/Maintenant, et à l’heure de notre mort/Amen ». Mais c’est également une divinité douloureuse et souffrante : elle est vénérée comme telle car elle a endurée la pire des douleurs, ayant souffert tout au long de sa vie. C’est à ce titre qu’elle endure sept douleurs qui lui valent le nom de Notre Dame des Sept Douleurs : la prophétie du vieillard saint Siméon, la fuite en Egypte, la disparition de Jésus au Temple pendant trois Jours, la rencontre de Jésus portant sa croix et montant au Calvaire, Marie debout au pied de la croix, la descente de Jésus de la croix et la remise à sa mère, et enfin l’ensevelissement de Jésus dans le sépulcre.

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Notre Dame des Sept Douleurs

La figure de la Vierge Marie, on le voit, est intéressante à plus d’un titre : figure de souffrance, de douleurs, mais en même temps d’amour maternel profond et de protection. Dans de nombreuses régions du monde, elle est vénérée avec une approche quasi mystique, ayant supplanté d’anciennes coutumes locales. On pensera ainsi à la Bretagne, à certaines régions d’Amérique Latine comme la Colombie ou le Mexique, sans compter les apparitions mariales.

Evoquons maintenant Kali.Dans la mythologie hindoue, elle tue son époux Shiva, dieu à la fois créateur, destructeur et préservateur. Si ce genre de concepts peuvent paraître déstabilisants à des occidentaux, il peut paraître utile de faire appel à une comparaison : Kali est comme un incendie de forêt, qui élimine les branches mortes, les mauvaises herbes (en l’occurrence, les avidyaproduits d’ignorance intérieurs venant du désir et de l’attachement). Or, pour atteindre la vraie délivrance (nirvana), il est nécessaire de notamment se débarrasser de ces avidya. Kali, déesse de la destruction/(re)récréation est à ce titre une déesse fondamentale dans l’hindouisme. Figure féminine, elle également une figure maternelle et protectrice, comme l’évoquent tant Ramprasad Sen que Râmaskrishna . Mais à la différence de Marie, elle protège le dévot parce que celui-ci la craint : Kali est une déesse sanguinaire, terrible, portant autour du cou un collier de cinquante et un crânes (symbolisant les lettres de l’alphabet sanskrit), et brandissant une tête décapitée, une épée, et une masse, symbole de destruction.

En comparant ces deux figures, on s’aperçoit que c’est l’amour et le sacrifice de la Vierge Marie qui la distingue de Kali. En dehors de cela, les deux figures apparaissent comme des déesses maternelles et protectrices, et dont la place dans leurs mythologies est centrale : celle de la résurrection.

 

Bowling for Pokemon

Lors de la fusillade de Columbine (Colorado), en avril 1999, un temps dont les moins de vingt ans ne se souviennent probablement pas, les médias et les politiques des deux côtés de l’Atlantique avaient pèle-mêle accusé, parmi les influences du tueur (dont l’Histoire a déjà effacé le nom dans les sables du Temps), la musique metal de l’époque, et les jeux vidéos, en particulier les FPS. De façon très sérieuse, des jeux comme Doom et Wolfenstein s’étaient retrouvés au cœur d’une polémique absurde dont seuls les Etats-Unis ont le secret. Journalistes, psychologues, psychiatres, neurologues et experts de tout poil avaient défilé pendant des semaines sur les plateaux télés et radiophoniques, au point qu’on avait oublié le principal : un jeune geek taré avait massacré ses camarades de lycée après avoir légèrement « pété les plombs ».

Il fallut des années pour que les cultures « underground » (jeux de rôle, jeux vidéos, musique rock, metal, etc) se débarassent peu à peu de cette image bien trop sale et sulfureuse. Il ne se trouve en France aucun parent sérieux, sauf dans quelques milieux particulièrement conservateurs, pour croire qu’écouter Behemoth ou Impaled Nazarene rend réellement sataniste ou que jouer à Unreal Tournament va réellement conduire les joueurs à massacrer le voisin, la voisine, leur chien, et toute la rue à coup de pistolet à clous/tronçonneuse/pied de biche/bouée canard, et ce malgré l’influence considérable de certains titres, notamment les précédemment cités, sur l’industrie vidéoludique.

Il y a moins de deux jours, à l’heure où j’écris, est officiellement sorti en France Pokemon Go. Fruit d’un partenariat entre Nintendo et Niantic, filiale de Google, il propose d’attraper des Pokemon de la première version mais dans un univers de réalité augmentée, à l’aide de son smartphone. Gratuit, il demande de lever son gros cul de geek obèse bouffeur de pizzas surgelées et avaleur de glaces fraîches si l’on veut progresser.

Comme tout effet mondialisé, il s’accompagne d’immanquables effets de masse, dont certains sont déjà visibles. Qu’on se souvienne de la récente agression subie par un joueur américain, qui malgré ses multiples plaies persista dans sa quête au lieu d’aller se faire soigner. Les agressions, accidents de voitures et courses en masse vers tel ou tel pokemon rare en un point donné des grandes villes permettent à certains misanthropes (sic) d’afficher leur pseudo-mépris du genre humain. C’est à dire qu’être hipster devient compliqué ! A peine l’Euro de football terminé, qui permettait un mépris de classe fort commode, il faut trouver autre chose. Le raisonnement est là le suivant : « Pokémon Go ne m’intéresse absolument pas. Je m’en vais donc vous le signifier bruyamment sur tous les réseaux sociaux où je suis présent, afin de me démarquer un maximum des « enfants » et des « idiots » que vous êtes. ». Diable, quelque chose m’échappe. Je ne comprends pas cette manie de parler de quelque chose qui n’a pas d’importance. Par exemple, la culture musicale peule, m’intéresse peu : je n’en parle pas (si des peuls me lisent, qu’ils n’en prennent pas ombrage). Le deuxième argument soulevé est que c’est un jeu « idiot » ou « pour les enfants ». J’ai rarement lu quelque chose de si bête. Premièrement parce qu’il n’y a pas que les enfants qui jouent aux jeux videos. Certains leur sont même déconseillés, voire interdits, précisément en raison de leur violence. Cela me permet de revenir à Columbine. On a longtemps a accusé les jeux vidéos, notamment, de rendre les individus violents. Tout le milieu videoludique s’est insurgé pendant des années, à raison. Mais aujourd’hui, une même partie de ce monde vidéo ludique valide le raisonnement qu’un jeu vidéo rendrait les individus idiots ? C’est absurde. Les jeux vidéos, la télévision, les réseaux sociaux ne rendent pas idiots ou violents : ils révèlent la bêtise et la violence de l’être humain. Il est sans doute trop tôt pour dire si Pokémon Go est un « bon » produit. Il va sans doute révéler le potentiel de bêtise (comme cet Américain qui a failli mourir, ou comme ceux qui provoquent des accidents de la route, ou encore ceux qui marchent le long des autoroutes). Mais il n’y a pas de corrélation entre le jeu et la bêtise.

Et de grâce : que vous y jouiez ou non, ne spammez pas les réseaux sociaux, c’est ainsi que vous avez dégoûté l’auteur de ces lignes de Game of Thrones.

Demolition Man et la post-modernité

Peu de gens rendent hommage au cinéma des années quatre-vingt et quatre-vingt dix comme il se doit, et notamment au cinéma d’action et ses dérivés. J’en veux pour preuve le traitement réservé au splendide Conan le barbare, de John Milius, considéré au mieux comme un gentil nanar de rôlistes pré-pubères, au pire comme un film d’action bourrin et décérébré, ce qu’il n’est absolument pas. Mais ceci, d’autres en parlent mieux que moi.

Aujourd’hui, je vais tenter de vous convaincre qu’il y a davantage à voir derrière Demolition Man (1993) de Marco Brambilla qu’un film d’action avec des coups de feu et des coups de lattes dans la tronche. Pour tracer à grands traits le synopsis, dans le Los Angeles des années quatre-vingt dix, un flic aux méthodes peu orthodoxes, John Spartan (Sylvester Stallone) poursuit Simon Phoenix (incroyable Wesley Snipes) un tueur psychopathe. Si l’arrestation réussit, elle se solde par la mort (apparente) de dizaines d’otages, ce qui conduit à la cryogénisation pour plusieurs dizaines d’années des deux protagonistes. Spartan ne peut donc voir sa ville, son monde changer sur le plan culturel, géographique, législatif, culinaire même, et encore moins voir la mort de sa famille. Dans un futur proche, Phoenix réussit à s’échapper, ce qui conduit les autorités pénitentiaires et politiques à libérer Spartan pour traquer le tueur.

Voilà pour l’histoire. Intéressons nous maintenant aux thématiques et aux influences du film. Clairement influencé par l’esthétique cyber-punk, le film rend hommage au « Meilleur des Mondes » d’ Aldous Huxley. On y chasse les opinions divergentes (des robots distribuent des amendes en cas d’injures), les contacts sont proscrits (baisers, relations sexuelles, « checks »). Plus terrifiant encore, l’Etat interdit « ce qui est mauvais » pour le corps, la santé. Lénina (Sandra Bullock) liste ainsi l’alcool, le tabac, la boxe, ou même le sel. Le monde de « Demolition Man » est celui que nous promet aujourd’hui Marisol Touraine, ministre de la santé, un monde aseptisé, lissé, froid. Le monde de ce film est un monde où la violence même est absente. Un policier, face à la violence absurde et folle de Phoenix a cette réplique terrible : « Mais nous sommes des policiers ! Nous ne sommes pas entraînés à la violence ! ». C’est là le coeur du film et de l’avenir de nos sociétés. Prophétique, le film, vingt ans avant, voit ce qui attend nos sociétés qui, telles des lapins dans les phares d’un camion, restent paralysées de peur et incapables d’agir face à la violence. Cette violence animale, crue, primitive, et parfois saine, face à l’immigration, face au pouvoir politique, face à l’Etat, plus personne n’est capable, ou presque, de s’en saisir. En somme, dans « Demolition Man », Spartan et Phoenix sont les derniers hommes de la Terre, ce que rappelle ce dernier à son poursuivant. Spartan a beau objecter que leurs buts diffèrent, que lui sert la loi, la justice et la morale, personne n’est dupe. Ils viennent tous les deux d’un monde mort (au sens littéral, dans le film) où cogner quelqu’un parce qu’il a été insolent était possible, cohérent.

Prophétique, ce film l’est, assurément. Je l’ai dit. Dans les terribles circonstances qui affligent l’Europe et la France, je ne peux que redouter que nos peuples s’enfoncent dans cette paralysie bêtement pacifiste et niaise.